13-02-2019  –  Article

Réflexion sur ce que le harcèlement en ligne doit poser comme questions aux designers du numérique


Dans son article Ligue du LOL, un harcèlement de « bac à sable », Louise Tourret compare soigneusement le harcèlement des enfants à l’école et celui sur les réseaux sociaux, entre adultes donc. Elle nous rappelle, s’il était utile de le faire, que dans tous les cas il est à destination des minorités et le plus souvent fondé sur le genre, dès l’école. Elle pointe ainsi parfaitement le paradoxe du recours, par les membres de la ligue, à l’image du bac à sable et de la cours de récré pour espérer s’expliquer et tenter de s’excuser. Comme si le harcèlement scolaire causait moins de dégâts.

Louise Tourret explique aussi que le harcèlement est profondément lié à des enjeux de pouvoir et de territoire. Qu’il soit physique ou virtuel, les dominants cherchent par ce moyen à conserver l’emprise et le contrôle sur l’espace.

Il s’avère que dans le monde réel les lieux sont le plus souvent conçus par, mais surtout pour lesdits dominants, à savoir les hommes hétérosexuels majoritairement blancs et d’un niveau social supérieur. Et cela toujours dès la fameuse cour de récré. Les travaux d’Yves Raibaud à ce sujet nous démontrent comment l’environnement collectif est d’abord construit pour les activités masculines. C’est la raison pour laquelle il produit et permet des rapports sociaux oppressifs envers les dominé·e·s et conforte les gardiens de la virilité dans leur légitimité à occuper toute la place en reléguant les autres en périphérie. Notamment à l’aide de l’arme du harcèlement.

Louise Tourret révèle ainsi parfaitement l’enjeu que constitue le territoire, comment on se le réparti selon notre genre et selon qu’on se sent légitime à l’occuper. En mettant en regard les mécanismes d’organisation urbaine et leurs impacts sur nos rapports sociaux avec ceux qu’on expérimente sur les réseaux, elle soulève à mon sens la nécessité d’évaluer nos espaces numériques jusque dans leur conception, et nous invite à ne pas se limiter à vouloir réguler l’utilisation que nous en faisons. Il faut nous donner les moyens de comprendre ce qui dans les structures, fonctionnements et expériences de ces services, permet et favorise de tels phénomènes.

Si nos plateformes reproduisent les mêmes rapports de domination que dans la société et si leurs utilisations sont parfois majoritairement accaparés par les hommes (comme c’est le cas de Wikipédia), il nous faut comprendre par quels biais de conception ils s’y sentent plus légitimes que les femmes.

Internet, les réseaux sociaux et les différents services numériques sont des territoires auxquels nous participons, en tant que designers, à définir les usages et les comportements qu’ils engendrent. Il faut donc engager une réflexion sur les moyens d’estimer le rapport qui peut exister entre le design d’une plateforme et les conduites qu’il produit. On doit réussir à déterminer ce qui peut être genré dans nos conceptions et en déduire les éléments qui permettent à certains de se sentir en capacité de régner sur les autres. Il faudra ensuite également y apporter des solutions pour parvenir à créer des espaces numériques qui soient réellement inclusifs.


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